À travers une sélection de six vidéos réalisées entre 2012 et 2021, le MACS a choisi de présenter pour la première fois en dehors des festivals ou des réseaux d’arts numériques, l’œuvre éminemment poétique de cette artiste multimédia et activiste Web de la première heure. L’une d’elles, Silent Noise (2020), réalisée durant la période dite de « confinement » a donné son titre à l’exposition au Grand-Hornu. La formule qui souligne d’emblée l’importance du paysage sonore au cœur de l’œuvre multimédia de l’artiste est extraite d’un passage poétique où le flux de ses pensées pénètre, dans un climat élégiaque, celui de ses images cinématiques. Sur l’écran, un environnement de câbles et de béton est en train de chavirer et de se disloquer, tandis qu’un texte émerge – tel un e-mail – du naufrage : « Too much silent noise today in my virtual life, cannot listen to the words of truth. » À l’ère du confinement, la formule oxymorique « silent noise » se fait alors l’écho de notre profonde solitude alors que la crise sanitaire réduit les relations sociales à des échanges distanciés. Constituée d’images filmées en Chine, en Écosse, en Italie avant la pandémie de la Covid-19 et d’autres tournées pendant le confinement à Liège, l’œuvre évoque le manque, l’isolement, l’atteinte à la liberté, la perte de la joie, mais aussi le besoin de respiration, de contact avec la nature et de recherche de l’insouciance perdue. Avec Silent Noise comme dans la plupart des vidéo-poèmes, Tamara Laï mixe ses images dans l’intention de tisser une immense narration dont la lecture s’avère multiple.
Comme Silent Noise, les vidéos Sound Feelings (2012) et Ascent (2013) sont marquées du signe du nomadisme et de la musique. Dans la première, cette errance poétique et sonore est entraînée par la performance filmée du jeu envoûtant du guitariste Gérard Jouffroy (proche de l’American Primitivism). Dans la seconde, la musique électro-cinématique de Laurent Saïet préexiste à la matière visuelle et les images s’y écoulent comme une chorégraphie lancinante et sensuelle. Pour WetWetWet (2015), extrapolé d’un poème créé pour un projet de Net Art collaboratif en 2001, on retrouve encore le principe du voyage sonore avec des images tournées à Ostende, à La Rochelle, à Anvers et aussi en Chine, auxquelles se superposent des sons de chants tibétains et de guitares acoustiques (Glenn Jones). Dans Gaps (2014) (littéralement « écarts »), Tamara Laï souligne les décalages, les fractures, les contrastes et les vides qui occupent la vie moderne, tandis qu’avec @TENDRE (2021), elle s’appuie sur des fragments d’un texte écrit en 2005 (My Virtual Body) et d’une bande-son de Bruce Gremo, compositeur et interprète de New York travaillant à Beijing, pour y exprimer ses pensées intimes dans le contexte de la crise sanitaire. Sorte de méditation en mouvement, ce dernier film en date évoque l’époque actuelle et les évènements traversés depuis un an et demi avec son lot de virtualité obligée, de menace permanente, mais aussi ses sursauts de vitalité et de résistance ; à l’image du mouvement Still Standing.
En guise de conclusion, des images de la nature font leur réapparition et dirigent à nouveau notre regard vers l’essentiel, ce lien au monde autour de nous. Un essentiel cependant « rêvé », nous dit l’artiste, puisqu’on ne peut pour l’instant qu’imaginer notre vie future. « Nous sommes là à attendre... tristes et tendres, à la fois... »
Commissaire de l’exposition : Denis Gielen